4.1.1. Une stratégie de communication " mobile "
Toute marque de grande consommation dispose d’espaces publicitaires réservés pour promouvoir son produit lors de son lancement. En dehors de ces espaces, les marques ont rarement d’autres moyens pour venter les mérites de leurs produits.
La stratégie de communication est radicalement différente pour les programmes de télé-réalité tels que Loft Story. En observant la campagne de publicité du loft, nous nous apercevons rapidement qu’elle a été trés astucieuse. En définissant Loft Story comme une é fiction réelle interactive é, l’émission serait é la fois une é observation de la réalité é, une é histoire inventée é et une é possibilité de participer é un programme avec un réle attribué é. Des critiques sur la crédibilité de la réalité du loft, peu importe, la chaéne oublie la facette é observation de la réalité é et préne désormais, son cété é fiction - ludique é. C’est pourquoi, face aux critiques affirmant que les participants ne pouvaient se comporter naturellement é cause de l’omniprésence du dispositif filmique, Thomas Valentin, Vice-président du directoire de M6, directeur des programmes et directeur général adjoint de la chaéne, répondait é C’est un jeu. Ce n’est pas la réalité, c’est pourquoi on parle de é fiction réelle é é. Il s’agit bien lé d’une stratégie de communication mobile qui s’appuie sur un marketing réactif et par conséquent, permet au discours de la chaéne de s’adapter.
4.1.2. Le marketing "réactif" de la télé réalité
La télé réalité, notamment dans l’exemple de l’émission Loft Story, symbolise la victoire des programmes de flux sur les programmes de stock. Professionnellement parlant, les premiers correspondent aux émissions qui ne se rediffusent pas telles que le journal télévisé ou les talk-shows, les seconds aux programmes qui se rediffusent comme les films ou les séries. Méme si les émissions de stock participent é la richesse d’une chaéne, ils n’ont pas les mémes avantages que les programmes de flux, qui, eux, peuvent étre rectifiés de semaine en semaine, ce qui témoigne de l’inépuisable capacité d’adaptation aux critiques.
Deux exemples significatifs reflétent la modularité de l’émission Loft Story. Le premier exemple concerne la critique accusant le programme de scénariser les événements é l’aide de montage; en réponse é cette remarque, la chaéne, par le biais de l’animateur, va évoquer la contrainte matérielle qui pése sur les producteurs : é Ce n’est pas facile de résumer sept jours de vie, alors on vous en offre ce qu’on appelle une sorte de zapping é. Le deuxiéme exemple concerne la dénonciation du sadisme de l’émission qui permettait au public de voter pour le candidat que l’on voulait voir sortir. Lé encore, M6 a vu dans cette remarque, une opinion générale é prendre en considération pour améliorer son programme. Quelques jours plus tard, le public ne votait plus pour celui qui devait partir mais pour celui que l’on voulait voir rester. Ces deux exemples caractérisent l’atout majeur de la télé-réalité : mettre en œuvre un marketing réactif, qui se nourrit des critiques pour s’adapter aux attentes du public.
La télé-réalité dispose d’un panel extraordinaire pour connaétre les défauts d’un programme, le public, qui est gratuit et qui permet une remontée quasi immédiate d’éventuelles imperfections.
Si la qualité d’un programme s’évalue, pour les annonceurs, é la propension é communiquer avec l’univers publicitaire, la télé-réalité est le genre qui a répondu le mieux é une question que se posaient depuis longtemps les chaénes de télévision privées : comment construire un programme qui ne soit pas en contradiction avec l’univers publicitaire ?
C’est é ce probléme que les émissions de télé-réalité ont su répondre, d’abord en mettant leur monde en harmonie avec la publicité. Il n’y a qu’a se rappeler du studio de Loft Story qui était une véritable vitrine d’ameublement et produits divers de marques connues d’un bon nombre de téléspectateurs.
Ensuite, pour marier l’univers du programme et celui de la publicité, certains type d’émissions notamment les télé-crochets comme Star Academy ou La Nouvelle Star, nous présente un univers dont le but ultime est la fabrication d’un produit vanté dans les écrans publicitaires. Les émissions de télé-réalité ont su rendre le téléspectateur réceptif é la publicité. é Pour qu’un message publicitaire soit peréu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible, les émissions de télé-réalité ont fonction de le rendre disponible c'est-é-dire le divertir, le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons é Coca cola c’est du temps de cerveau humain disponible é(Damien Legay).
La diffusion d’un programme de télé-réalité entraîne des stratégies qui divergent selon le statut de la chaéne. La différence principale étant que pour une chaéne challenger, le but de la diffusion est une conquéte d’audience et un développement commercial alors que pour les grandes chaénes qui ont déjé un niveau d’audience trés haut, l’objectif est de continuer é dominer sur l’espace télévisuel.
4.4.1. Coût de production et d’acquisition
Les émissions de télé-réalité coûtent sensiblement plus cher que les émissions de flux et de divertissement compte tenu de la lourdeur des dispositifs mis en place que se soit avec la Star Academy avec 80 caméras qui tournent 24h/24, un personnel qui se relaie en permanence, ou avec Koh Lanta qui envoie 80 personnes qui suivent 16 candidats au bout du monde pendant 45 jours. Cependant, un bon programme peut coûter deux fois moins cher qu’un film, Star Academy coûte en moyenne 610 000 euros par émission contre 1,2 million pour le passage d’un film, et une diffusion en début de soirée de Star Academy coûte moins cher qu’un match de football de l’équipe de France ou le premier ou le deuxième passage d’un film français . Concernant les fictions diffusées en prime time, TF1 investit jusqu’à 10 millions d’euros par an. En effet, la diffusion d’une fiction en prime time coûte 2 à 3 fois plus cher qu’un programme de télé réalité. Edouard Baccon-Gibod, Secrétaire général de l’Antenne de TF1, rappelle cependant, que l’on ne peut pas comparé le prix d’un film, qui est une œuvre audiovisuel, avec un programme de télé réalité. Tout simplement parce que le prix d’une œuvre est celui de la création. Par ailleurs, produire des émissions de télé-réalité est relativement économique car les candidats ne sont pas rémunérés comme des acteurs. Si l’on prend le cas de Loft story 1, Chaque lofteur a perçu 689 euros la première semaine et 344 euros supplémentaires chaque semaine eu égard aux éliminés (voir l’annexe 2 sur le statut des joueurs). En somme, on peut affirmer que même si les émissions de télé-réalité coûtent plus cher que certaines émissions de divertissement ou de flux, leur coût reste modeste en comparaison de ceux qu’exigent les feuilletons et autres séries. Les entreprises qui font commerce des formules les plus populaires de télé-réalité n’en font d’ailleurs pas mystère. Ces programmes sont largement plus rentables pour les chaînes : depuis les succès rencontrés par le Loft sur M6, TF1 s’est engagée dans la télé-réalité , elle verse à Endemol France 38 millions d’euros par an et cela pendant cinq ans pour être approvisionnée en programmes de télé-réalité . Un tel investissement traduit sûrement des recettes bien plus élevées pour la chaîne.
4.4.2. Les recettes engendrés
En 2002, le montant des recettes publicitaires pour la Star Academy a été de 120 millions d’euros en 16 émissions. Même si toute tentative de calcul demeure extrêmement difficile, la mécanique Loft Story aurait rapporté à M6 près de 45 millions d’euros de recettes pour un coût que l’on peut évaluer à environ 26 millions d’euros. La stratégie multimédia des programmes de télé-réalité fait recette. Ces recettes proviennent des spots publicitaires, des appels téléphoniques, des SMS liés aux votes des téléspectateurs, des produits dérivés comme la revue de Star Academy et des ventes de disques.
4.4.2.1. Les recettes publicitaires
Les programmes de télé-réalité ont su attirer les annonceurs grâce au ciblage publicitaire. En effet, les annonceurs se demandent sans cesse quels médias les nouvelles générations vont consommer et comment ils vont pouvoir s’adresser à eux. Sur ce point la télé-réalité représente un intérêt exceptionnel. Les agences de conseils média véritables centrales d’achat d’espace publicitaire ont joué un rôle moteur dans l’acceptation. Elles ont incités les annonceurs à acheter de l’espace publicitaire sur les émissions de télé-réalité et ont donc assuré le succès économique de ces programmes. Les annonceurs se sont alors jetés sur les programmes de télé-réalité, synonymes pour eux, de reconnaissance auprès d’un jeune public si dure à fidéliser. La hausse des audiences de M6 depuis la diffusion de programme de télé-réalité a permis à la chaîne d’augmenter trois fois de suite les tarifs des écrans publicitaires. Lors de la finale de Star Academy le 12 janvier 2003, le prix des écrans publicitaires a progressé de près de 18 %. L’écran publicitaire précédant le début de l’émission était alors facturé 53 360 euros. Sur M6, le spot de pub de trente secondes lors de la finale de La nouvelle star en 2006 était de 66 000 euros et la pub avait rapporté 45 millions d’euros à la chaîne en 2006. On reste cependant bien loin des Etats-Unis avec 700 000 $ le spot de 30 secondes pour la finale de The Bachelor sur ABC, 550 000 $ pour Joe le Millionnaire.
4.4.2.2. Les recettes des produits dérivés de la télé réalité
Avec les programmes de télé réalité, l’expression « produits dérivés » a pris tout son sens. Les produits dérivés sont devenus une véritable industrie : disques, vidéos, jeux de société, magazines, SMS, audiotel et appels téléphoniques, tous surtaxés, sans parler des vêtements, des accessoires (bijoux, montres, agenda électronique…). Il faut savoir qu’en 2003, M6 réalisait 40% de son chiffre d’affaires en dehors de la publicité traditionnelle. Dans une période ou le marché publicitaire stagne, les opérateurs ont trouvé le moyen d’utiliser leur antenne comme un levier pour générer d’autres activités et d’autres recettes. Le montant des recettes dérivées est souvent difficile à chiffrer, cependant on estime que les produits dérivés liés aux émissions de télé-réalité représentent 30 à 40 % des recettes totales. Pop Star sur M6 a fait vendre 1 million de disques et les ventes générées par ce programme ont dépassé les recettes publicitaires . Encore aujourd’hui en 2007, La nouvelle star reçoit 100 000 appels qui sont surtaxés à chaque prime, les SMS génèrent 1 million d’euros de recette que le producteur Freemantle, et M6 se partagent. Pour information, 1.4 millions d’albums ont été vendus au total par Amel Bent, ex candidate du programme. Pour Star Academy, diffusée sur TF1, les recettes publicitaires représenteraient 74 % et les produits dérivés 26 % (disques, appels téléphoniques, jeux et magazines). Les recettes de produits dérivés de TF1, même si elles ne représentent que 20 % de son chiffre d’affaire, sont supérieures aux recettes de produits dérivés de M6, qui représentent 40% du chiffre d’affaire de M6. TF1 a des produits dérivés minoritaires par rapport aux produits de l’antenne alors que chez M6, ces mêmes recettes sont majoritaires . Il faut cependant, garder à l’esprit qu’un business aussi large de produits dérivés n’est pas possible sur tous les formats. D’un coté, nous avons les émissions quotidiennes, qui, avec un suivi jour par jour, permettent une identification du téléspectateur aux candidats; il est donc plus facile de développer le business des produits dérivés avec cette catégorie d’émission. De l’autre coté, les émissions de télé-réalité non quotidiennes, qui se divisent en jeux de séduction, jeux d’aventure, et dont l’exploitation de produits dérivés n’est pas toujours possible : impossible de vendre un disque de l’île de la tentation ou un magazine de Koh Lanta. L’un des modèles les plus explicites qui a généré le plus de synergies est la Star Academy avec : - Un accès quotidien qui permet d’obtenir certains jours, jusqu’à 75% de parts de marché des 15-24 ans. - Un prime time fédérateur garantissant aux annonceurs une stabilité des audiences donc des performances des écrans, ce qui diminue, par conséquent, totalement le risque pour les annonceurs. En effet, chaque fois qu’un annonceur investit dans un programme, il existe un risque lié à l’audience. - Les recettes liées à la télévision interactive, à l’audiotel, au minitel, à Internet, aux SMS.
4.4.3. La synergie avec l’industrie du disque
Comme nous l’avons vu la télé-réalité engendre des recettes conséquentes pour les diffuseurs mais aussi pour les maisons de disque. Les programmes de télé-réalité les plus rentables sont, à n’en pas douter, les émissions musicales de la télé réalité. Non seulement, le publique adhère (5 millions d’adeptes en moyenne par prime-time pour La Nouvelle Star en 2007) et y participe (7 200 000 appels et 5 000 000 SMS pour Star Academy 2), mais en plus ce genre de programme engendre des ventes de disques importantes. Au global, en 2002, les disques dérivés de la télé-réalité, signés exclusivement par les label d’Universal Music, représentent « seulement » 2% des ventes d’albums et 5% de celles des singles en à peine deux mois entre le 11 décembre 2001 et le 20 février 2002. A ce niveau, seul Johnny Hallyday a réussi en 2002 à écouler plus de 1 million de copies d’un de ses singles en moins de temps. La même année, l’album de reprise de la Star Academy saison 1, coproduit par TF1, est devenu triple disque de platine avec plus de 900 000 exemplaires écoulés. Enfin, même un groupe comme Whatfor, issu de l’émission de télé-réalité Popstar 2 qui avait été considérée comme un semi succès, a obtenu un disque de platine pour son premier single avec plus de 500 000 vendus, et pour son premier album avec plus de 300 000 vendus. Ce qui fait dire au responsable du label AZ, Valéry Zeitoun, qu’il aimerait « n’avoir à gérer que ce genre d’échec ». La télé-réalité a permis aux annonceurs de musique, d’accentuer les ventes de leurs produits à ces jeunes générations, cibles très difficiles à attraper et couvrir par la télévision des grandes chaînes.
Nous avons donc présenté le concept de la télé-réalité. Pour cela, nous avons tenté d’étudier les causes de son avènement, puis présenté les concepts de ce genre télévisuel. Ensuite, il était nécessaire d’énumérer l’ensemble des formats caractérisant ces nouveaux programmes pour mieux entrevoir jusqu’où pouvait s’étendre le genre. Pour finir, nous avons montré les stratégies de communication et les mécanismes financiers qui se cachent sous l’appellation de télé-réalité. Il convient maintenant de présenter l’enquête empirique qui permettra d’apporter des réponses sur l’une des caractéristiques principales de la télé réalité : son public.