Lors du colloque organisé par l’université Paris Dauphine en avril 2003, Jean-Louis Missika, Président de JML Conseil affirmait qu’il existe trois raisons principales qui permettent de dire que la télé-réalité constitue un nouveau genre télévisuel :
Dans ce chapitre, je m’attacherai à analyser le discours que revendique ce nouveau genre télévisuel et à décrypter les « ingrédients » des émissions les plus typiques du genre. Enfin, j’essaierai de déterminer l’intention, le format et le public de ces programmes.
2.1.1. La promesse de la télé-réalité : une réalité montrée, non scénarisée
L’idéologie du discours de la télé-réalité est d’affirmer qu’elle détient la possibilité de montrer le réel en annulant toute médiation entre le téléspectateur et ce qui apparaît sur l’écran de télévision. Ceci est naturellement faux car la télévision ne peut pas représenter le réel, parce qu’elle est un outil de « re-figuration du réel ».
Ce discours est impossible et reste de l’ordre du rêve. Dès lors que la télévision montre le réel, elle lui confère une certaine formalisation et le contraint à un cadrage qui impose sa réappropriation.
2.1.2. De quelle réalité s’agit-il ?
Idéologiquement, la télé-réalité revendique une capacité à montrer le réel. Officiellement, elle ne prétend pas montrer la réalité. En effet, la télé-réalité est une manière de placer des gens ordinaires dans une situation extraordinaire ou expérimentale. C’est pourquoi le mot « réalité » est erroné .
Il semble cependant que les programmes de télé-réalité tendent à montrer le réel au moins en partie. En effet, le réel de la télé-réalité est aussi, matériel, corporel, incarné. La télé-réalité contient une épaisseur humaine car il y a de « vrais personnes » confrontées à de « vraies situations », même si ces « vrais personnes » sont cadrées et les situations aussi.
Dès lors, nous pouvons alors nous demander quels sont les ingrédients nécessaires pour attirer les téléspectateurs.
Nous avons vu que le concept de télé-réalité était difficile à circonscrire. En effet, le phénomène est mouvant et se répand chaque jour d’avantage dans de nouvelles sphères de l’univers télévisuel. Néanmoins, en se rapprochant de l’essentiel, nous pouvons en circonscrire les grandes composantes.
2.2.1. L’environnement 2.2.1.1. La compétition dynamique
Le premier élément qui caractérise les émissions de télé-réalité les plus typiques est la compétition dynamique régulée par un mécanisme d’éliminations successives des concurrents. Ce mécanisme de sélection repose sur des jugements subjectifs concernant souvent l’ensemble de la personnalité des candidats et non leur capacité performative. Par conséquent, chaque candidat doit s’affirmer au détriment de l’autre, il doit plaire à la fois à ses compagnons, son éventuel jury et surtout au public, véritable acteur de son devenir dans le jeu. Voilà un élément constant dans la plupart des émissions de télé réalité.
2.2.1.2. Le cadre des émissions
Une autre caractéristique des programmes de télé-réalité est le lieu ou se déroulent les programmes. Dans les programmes les plus emblématiques, ce sont des espaces contraints qui obligent les candidats à s’organiser en unité de vie commune. Par conséquent, chaque participant subit une tension permanente entre le rapport à soi, compétiteur cherchant à écarter les autres, et le rapport au groupe garantissant au moins une vie collective décente. Toutes les tensions entre les compétiteurs dynamiseront le programme.
Les programmes de télé-réalité cherchent souvent à transformer les lieux de l’intime en lieu commun. C’est pourquoi l’on trouve souvent dans le cadre de ces émissions des dortoirs collectifs par exemple. Cette volonté d’exhiber l’intime aux téléspectateurs a incité le CSA français à rendre obligatoire, dans la configuration des programmes de télé-réalité totalement clos, l’existence d’une chambre indépendante, dite « salle CSA » ou l’intime peut reprendre ses droits.
2.2.2. Les contenus des programmes de télé réalité 2.2.2.1. Les thèmes
Quatre grandes catégories rassemblent les thématiques des programmes de télé-réalité.
2.2.2.2. Les participants
Les personnages constituent la pièce essentielle à la recette de la télé réalité. Un programme comporte souvent de nombreux « acteurs » dont la plupart sont des compétiteurs mais il y aussi des professeurs, un jury ou encore un présentateur animateur. La majorité des participants sont des gens ordinaires. Ils ont cependant été soigneusement sélectionnés en fonction de certains critères, dont on pense qu’ils pourront assurer le succès de l’émission.
Les participants sont, pour la plupart, de jeunes adultes de 20 à 30 ans. Cependant les candidats peuvent être beaucoup plus jeunes notamment lorsque le programme touche le domaine musical.
Une autre caractéristique des candidats est leur origine. On constate que les émissions de la télé-réalité intègrent des personnages issus de l’immigration, ce que l’on retrouvait rarement dans la télévision auparavant. Depuis la fin des années 80, la musique était le seul endroit où la population noire et maghrébine pouvait exister. En 1998, avec la victoire de l’équipe de France de football, les français ont découvert une France « Black, Blanc, Beur ». Mais la télévision l’est vraiment devenue avec la télé réalité. Pour la première fois, on sait mis à parler « normalement » comme dans la vraie vie.
Les candidats proviennent le plus souvent des classes moyennes ou moyennes inférieures et en reproduisent les caractéristiques socioculturelles.
Enfin, les personnages de ces émissions sont fortement typés et se distinguent par leur personnalité. Il y a une véritable « distribution de rôles » issue d’un casting chargé de sélectionner sur la base de leurs traits de personnalité. Pour finir, l’aspect physique en interaction avec les composantes du caractère complète le tableau.
2.2.3. Le dispositif filmique
Nous avons vu auparavant, que ces programmes entendent être partout à la fois, prêts à saisir toutes les réalités survenant au même moment, même si à l’antenne, seule transparaîtra une partie de cette « réalité saisie », la « réalité montrée ».
D’où un déploiement hors proportion de moyens techniques sophistiqués autour duquel ce genre de programme a édifié sa notoriété. Tout cet attirail de technologie va servir de base à toutes les déclinaisons de type Big Brother.
Nous trouvons ainsi des capteurs de son et d’image dans les lieux ou se déroule l’émission. Les caméras sont commandées à distances car seuls les participants doivent être sur les lieux. Ces caméras sont manipulées par des caméramans se trouvant souvent derrière les miroirs sans tain et elles disposent d’un éclairage conséquent pour obtenir la meilleure image possible. Les caméras ne sont pas placées à hauteur d’homme mais au plafond. Ainsi, le regard que porte les caméras sur le réel qu’elles saisissent se montre comme une plongée sur la réalité: l’observateur domine et contrôle tout, le rêve de la transparence décrit au 1.2.1.1 est alors réalisé. Les images infrarouges sont aussi utilisées dans ce genre d’émission pour filmer la nuit notamment dans les chambres. La volonté de tout montrer, d’exhiber l’intime est une nouvelle fois renforcée.
Dans de nombreuses émissions de télé réalité, la lourdeur de cette infrastructure a été remplacée par un suivi permanent des candidats, par des équipes de vidéo légère, caméra à l’épaule. Cette technique concerne surtout les programmes se déroulant en milieu ouvert alors que l’autre technologie est plus souvent utilisée pour les programmes se déroulant en milieu clos.
Du flux télévisuel issu des caméras, seront ensuite isolées les séquences qui seront mises sur antenne lors des émissions programmées sur les chaînes.
2.2.4. La diffusion
La transmission en temps réel des programmes est souvent par canal télévisé réservé au sein d’un bouquet de chaînes avec un abonnement spécifique ou par streaming live via Internet. Ces diffusions en temps réels ne concernent jamais les chaînes généralistes qui proposent des condensés du programme.
Même si les caméras sont partout, la réalisation impose une sélection constante des plans retenus et l’oriente, afin de ne pas permettre la venue à l’antenne de propos ou d’évènements qui seraient contraires aux intentions de la production. Il semblerait que les producteurs se servent de ce montage pour, en quelque sorte, scénariser et dynamiser leur émission. En fait, ce qui est diffusé est le résultat d’un montage effectué en fonction d’objectifs précis.
Concernant les horaires, la diffusion de programmes quotidiens se fait dans la période de l’access prime-time et la rediffusion est programmée une ou deux fois dans les cases de day-time et de night-time. Une diffusion hebdomadaire est retransmise en prime time. Elle met en scène la phase finale du processus d’élimination des candidats. Sa durée est d’environ 2h30.
Certaines émissions sont volontairement exclues des cases de prime time, il s’agit le plus souvent des émissions dont le thème est relatif à la séduction et aux rapports interpersonnels.
2.2.5. L’interaction avec le public
La télé-réalité entend conférer un rôle actif à son audience. Rappelons que le slogan de Loft Story était « C’est vous qui décidez », d’où l’importance de la place accordée aux téléspectateurs. Le choix de l’audience parmi un panel d’éliminés potentiels constitue la mécanique essentielle de l’évolution du programme. Le phénomène d’interactivité qui accompagne la télé-réalité n’était pas envisageable avant le téléphone mobile et le SMS. Le téléspectateur devient « télé consommateur », « télé acteur », ce qui implique une révolution dans la relation entre les opérateurs et l’individu dont l’esprit critique ne fait que croître.
Les choix des téléspectateurs votant sont conditionnés par les représentations qu’ils se forgent des personnages et celles-ci sont elles même dépendantes des choix de réalisation opérés par les producteurs. L’expérience démontre enfin, que sauf exception, les choix révélés par les votes coïncident toujours avec le projet d’évolution du programme tel que souhaité par ses producteurs. Ceci est révélateur de ce que nous avons vu au paragraphe précédent, la télé-réalité revendique idéologiquement montrer la réalité, mais sa diffusion est tout autre. Par de multiples montages et recadrages de situations réelles filmées, les instances de production arrivent à « guider » le téléspectateur dans ses choix.
Avec toute l’ambiguïté qu’elle porte en elle, où se situe la télé-réalité par rapports aux genres traditionnels ? Dans une tension entre sphère publique et sphère privée et entre réel et fictionnel, les émissions de télé-réalité amalgament entre eux les genres traditionnels.
2.3.1. Un genre bien difficile à catégoriser
Dans les systèmes typologiques utilisés par l’UER, les critères permettant d’identifier un programme sont son intention, son format, son contenu, son public cible, son origine et sa langue.
Pour l’origine et la langue, Le programme provient d’un studio ou un studio reconstitué en extérieur, et la langue est celle du pays où le programme est diffusé.
Concernant l’intention de ce genre de d’émission, elle est sûrement de divertir. Mais pour certaines émissions, il semble que l’on soit face à quelque chose qui n’est pas simplement de l’ordre du divertissement mais qui nous dit quelque chose.
Pour le format et le contenu, deux approches distinctes du phénomène existent. La première étant de considérer ce genre comme un documentaire ayant pour objectif l’information et l’analyse des comportement humains en groupe ou face à des situations extrêmes. La seconde vise la captation de la réalité dans ce qu’elle recèle de spectaculaire afin d’assurer un bon divertissement. Un programme mélangera souvent les deux approches à la fois. C’est pourquoi, il est difficile de placer les émissions de télé-réalité dans les formats traditionnels que nous connaissons.
Enfin, si l’on prend en considération le fait qu’à l’origine, ces programmes constituent, entre autre, des tentatives pour impliquer davantage le public, surtout les jeunes, dans la production télévisuelle, alors on pourrait penser que le public cible est le jeune public. Mais le fait que la diffusion de certains programmes de télé-réalité soit en partie en prime time ne signifie t-il pas que les producteurs cherchent une audience plus diversifiée ? Nous constatons donc que ce genre audiovisuel ne peut pas rentrer dans des cases toutes faites.
2.3.2. Un genre télévisuel mouvant
Ces programmes échappent aux classements définitifs et paraissent constamment en mutation, reflétant ainsi le caractère mouvant de ce genre particulier. Selon François Jost, les programmes de télévision peuvent être grossièrement regroupés selon trois modes d’énonciation : l’informatif, le fictif et le ludique.
Selon François Jost, la télé-réalité appartiendrait à l’univers du ludique, du divertissement car elle répondrait aux caractéristiques de base du genre jeu; à savoir que les participants sont volontaires, l’issue est théoriquement incertaine et en temps que jeu, il s’agit bien d’une activité irréelle par rapport à la vie courante.
Ces émissions seraient reliées à l’informatif, à la réalité parce qu’elles revendiquent montrer « le réel » par l’authenticité des candidats et des situations rencontrées.
Enfin ce genre correspondrait au fictif car toute représentation de la réalité la dotera d’une certaine construction et donc l’éloignera du réel.
2.4.1. Un public conséquent 2.4.1.1. La télé-réalité dans le top des audiences
Depuis que le concept est arrivé, les émissions de télé-réalité enregistrent des audiences élevées et traduisent la réussite de ce genre télévisuel. Ces émissions subissent souvent des critiques virulentes mettant en cause leur éthique ou leur absence de culture, néanmoins le public s’y intéresse et suivent la plupart de ces émissions.
Les chiffres sont édifiants et démontrent que la télé-réalité n’est pas prête de disparaître du paysage télévisuel quoi que l’on en pense. Même si la fiction reste en première position dans le classement des 50 meilleures audiences de 2002, les émissions de télé-réalité sont aussi représentées dans ce classement. Ainsi, la finale de la Star Académie 1 occupe la quatrième place du classement avec 11,84 millions de téléspectateurs et 51,4% de part d’audience, la finale de la seconde édition occupe la cinquième place du classement avec 11,55 millions de téléspectateurs et 56,4% de part d’audience. Toujours la même année, pour M6, Loft Story est le programme qui a réuni le plus de téléspectateurs avec un pic à 8,21 millions et 37,5% de part de d’audience; cela n’était jamais arrivé à la chaîne.
2.4.1.2. Des baisses d’audience pour la télé réalité
Par ailleurs, il faut comme même préciser que si ces émissions occupent la partie haute dans le classement des audiences, pour certaine de ses émissions, les deuxièmes déclinaisons connaissent un perte d’audience. L’effet de surprise inhérent à la première édition est passé, les téléspectateurs se sont habitués aux mécanismes de la TV réalité en général, et du programme adapté du concept de Big Brother en particulier. M6 n’a d’ailleurs pas programmer de suite à Loft Story 2 car l’émission avait perdu 10% de son audience par rapport à la saison 1. On croyait alors à la mort du concept mais ce fut une illusion. Aujourd’hui encore, de multiples émissions de télé-réalité sont présentes chaque année sur nos écrans.
2.4.2. Un public majoritairement jeune
Depuis quelques années producteurs et annonceurs, n’ont qu’un seul but : construire un concept qui rajeunissent les cibles. La télé-réalité a été une bonne alternative à cette quête du jeune public.
Ainsi Etienne Mougeotte déclarait « Le but que nous avons poursuivi est l’établissement d’une relation forte avec un public jeune, car TF1 doit s’adresser à tous les publics, même si elle ne peut le faire à tout moment ». Il semblerait qu’aucune autre forme de programme n’attire autant d’audience surtout dans la tranche des 18-49 ans, chère aux annonceurs, sur de telles durées. En 2001, Loft Story a placé M6 devant TF1 puisqu’il a détrôné le Bigdil, capitalisant jusqu’à 70 % d’audience sur les 15-25 ans et près de 50 % sur les ménagères de moins de 50 ans. Loft Story a attiré plus de 8 millions de téléspectateurs dont 50% de ménagères avec enfants selon Médiamétrie.
Ce genre d’émission marche par conséquent mieux sur les moins de 50 ans et moins sur les plus de 50 ans. Mais comme nous pouvons le constater en attirant 50% des ménagères, la cible ne se limite pas au seul public dit « jeune ». Pour les producteurs et les annonceurs qui investissent, l’objectif est l’audience maximale. Les émissions doivent aujourd’hui plaire à toute la famille et aux segments jeunes afin de rajeunir et d’améliorer l’image de la chaîne.